Robyn Will Blacksmith

J'aimerais me souvenir d'elle. j'envie parfois Harry qui doit se souvenir, moi, j'en suis incapable. j'ai beau essayé, fermer les yeux, fouiller dans ma mémoire, son visage m'échappe toujours. Ce que je peux savoir d'elle, c'est Harry et père qui me l'ont apprit. Ce que je crois me rappeler ne sont que souvenirs trafiqués par mon cerveau en mal d'amour. Mère est morte quand j'avais deux ans et je ne me souviens pas d'elle. Pas de la chaleur de son sourire, pas de la douceur de son étreinte, de la douceur de sa voix. Père pleure chaque jour sa mort et moi, je regrette de ne pas l'avoir connue. Elle est morte en mettant Destiny au monde. Destiny... Un prénom drôlement choisi dans une situation aussi morbide. Née en arrachant la vie de sa génitrice en privant ses frères de leur maman. Père ne lui a jamais pardonné. Moi... Moi je n'étais qu'un enfant. Deux ans. Bien trop jeune pour comprendre que cette ombre maternelle ne m'accompagnerait plus jamais.

Harry et moi avons donc accueilli cette petite sœur. Pas longtemps, car elle nous fut arrachée pour être élevée par une autre, loin de la rancœur paternelle. Pourtant, nous ne l'oubliions pas et je suivis Harry dans son envie de se rapprocher de la dernière de la fratrie. Harry a toujours eu un cœur trop grand, trop généreux, trop prompt à pardonner. Enfant, je le suivais partout, prenant exemple sur lui. Il était mon aîné, mon modèle. A 5 ans, il semblait déjà adulte. Du moins était-ce ainsi que je le voyais. Moi qui parlais à peine, je le suivais, jusque chez les Williams, voir Destiny, qui grandissait dans l'ombre de Jack. Jack qui se substitua à nous durant les deux premières années de sa vie. Je ne me souviens pas bien de cette période. Mes premiers souvenirs doivent remonter à ma 4e année, juste avant que père ne décide de récupérer Destiny à la maison, l'arrachant à sa mère de substitution. Mieux aurait valu qu'elle reste chez les Williams. Mais je ne peux m'empêcher de faire le parallèle entre Destiny et moi. Tous deux privés de figure maternelle à deux ans. C'est trop jeune, bien trop jeune.

Destiny découvrit ce qu'était notre vie. Pas bien reluisante. Harry, du haut de ses 7 ans, secondait déjà notre père qui sombrait. Il prenait en charge la maison, avec un sérieux qui aurait pu être comique si la situation n'avait été si grave. Moi, petit frère de 4 ans, je faisais les corvées les plus faciles, très obéissant. Destiny ne faisait rien, ou aidait du mieux qu'elle pouvait, donc mal. Nous étions des enfants et nous étions déjà autonomes. Père travaillait, s'épuisant, s'abrutissant à la forge et nous, nous remplacions notre mère, même si madame Williams passait de temps à autres nous aider. Finalement, nous aurions aussi bien pu être orphelins, étant donné le peu d'amour que nous donnait notre géniteur. Et les enfants ont besoin d'affection. Je trouvais la mienne auprès de Harry. Nous étions très soudés, étant jeunes. Et nous couvions Destiny, la protégeant. Nous trouvions notre échappatoire dehors, avec les autres enfants, mais toujours nous devions nous souvenir des tâches qui nous attendaient.

Je ne me plains pas de mon enfance. Elle ne fut pas particulièrement joyeuse, mais cela aurait pu être pire. Néanmoins, en grandissant, je pris conscience que les choses auraient pu être différentes si mère avait vécu. Bien différentes. Et le regret de cette vie que je ne connaîtrais jamais me poignarda plus d'une fois au creux de la nuit. Surtout quand Père se mit à boire. J'avais 10 ans. J'aurais aimé ne jamais assisté à la déchéance de cet homme que j'admirais tant. Mon père était un homme bien, avait été un homme respectable, ravagé aujourd'hui par la mort de son épouse. Un homme fidèle et droit, un travailleur et je voulais être comme lui. Avant que Destiny ne lui vole sa vie, bien évidemment.

Harry avait 13 ans et il commençait à bien s'occuper de la forge, secondant père. Et moi, je secondais Harry, laissant Destiny seule. Père ne rentrait pas avec nous, préférant se saouler à la taverne et rentrer ivre mort. Il bredouillait alors ses regrets, laissait exploser sa rancœur, sa haine pour Destiny. Malgré le peu d'amour qu'il nous avait donné, j'aimais sincèrement mon père et le voir dans cet état me révolta. Il avait raison, sans Destiny, maman serait encore en vie, ils seraient heureux, papa travaillerait, rentrerait le soir, embrasserait sa femme adorée et passerait du temps avec ses fils. Il ne serait pas cette épave beuglante. Destiny était ma sœur, mais elle était responsable de notre déchéance. De notre vie qui aurait pu être plus facile, plus belle. Doucement, surement, je me mis à la détester pour cela. Tout en l'aimant. C'était si difficile d'en vouloir à une personne qu'on aimait et qu'on avait envie de protéger malgré tout... Destiny était la cible des accusations violentes de notre père. Harry la défendait, moi je condamnais. L'atmosphère à la maison était intenable. Et cela dura encore quelques années, empira quand mon père cessa de travailler, nous forçant Harry et moi, à reprendre sa forge, à respectivement 16 ans et 13 ans. Destiny jouait les femmes de la maison, s'occupant de tenir notre logis propre, de cuisiner. Père était un fantôme, un fantôme pourtant hargneux parfois, quand il attaquait notre sœur ou la giflait. Cela faisait bondir Harry. Moi, je m'en fichais.

Un évènement dramatique survint pourtant quand Destiny eut 13 ans. elle fut enlevée. Contre une rançon. Père ne s'en occupa même pas, plongé dans l'alcool et son malheur. Ce fut Harry qui prit les choses en main, Harry qui réunit l'argent, Harry qui se rendit au rendez-vous. Harry qui tua cet homme lors d'une bagarre, libérant notre sœur de son joug, mais les mains souillées de sang. Quand je descendis, interpellé par le bruit, je trouvai le macabre spectacle de mon frère, près d'un cadavre humain. C'était la première fois qu'il tuait et même si c'était pour Destiny, cela était traumatisant. Cela ne devait jamais se savoir, nous étions tous d'accord là dessus. Destiny était partie en voyage et nous allions faire disparaître ce cadavre, comme s'il n'avait jamais existé. J'aidais Harry cette fois. Je l'aidais à transporter le mort dans la forêt. A dissimuler les tâches de sang. Comme si jamais rien n'était arrivé... Un secret qui nous lie tous les trois, aussi surement que les liens du sang. Un évènement qui nous rapprocha davantage encore, malgré nos antagonismes. Malgré nos divergences d'opinion. Destiny admirait les loups-garous, moi je souhaitais leur mort, priant pour que les RRH les exterminent, déplorant de ne pouvoir rejoindre leurs rangs. Harry, comme toujours, jouait les tampons.

Deux ans plus tard, père fiançait Destiny. Il était temps qu'elle se trouve un époux et fasse sa vie avec lui. Cela serait une source de problème en moins, une bouche à nourrir en moins et la tension à la maison serait bien moindre si nous n'étions plus sous le même toit. Bonne idée donc. Elle n'avait pas son mot à dire. De mon côté, je papillonnais auprès des filles, sans doute plus attirées par mon argent que par ma personne. Le beau gosse de la fratrie, c'était Harry. Moi, je n'étais que le second, plus petit, plus mince, des cheveux roux sombres, une visage parsemé de tâches de son, une bouche trop grande, malgré des traits réguliers. J'étais... banal. Malgré mes yeux verts pailletés d'or. Harry était séduisant, Destiny belle à croquer.

Harry intervint pourtant, promettant notre sœur à son meilleur ami, Peter. Elle pouvait s'estimer heureuse, si je m'en étais occupé, elle aurait été marié au premier venu qui nous aurait apporté quelque chose. Harry avait le cœur trop tendre. Et voilà qu'un an après toutes ces simagrées, il rompt les fiançailles, se disputant avec son meilleur ami. Ils ne se parlent d'ailleurs plus depuis, j'ignore pourquoi. Toujours est-il qu'aujourd'hui, Destiny est toujours sous notre toit. Que nos rapports sont toujours conflictuels, cette tête de mule n'en faisait qu'à sa tête. je me demande parfois si elle a un cerveau tant elle agit sans réflechir parfois, sans rien écouter de ce qu'on lui dit. Pourtant, parfois, sa compagnie m'est agréable. Quand nous ne discutons pas de choses qui fâchent, quand Harry est là pour nous tempérer. Quand nous redevenons ces enfants qui ont été tant soudés dans l'adversité, qui se sont tant aimés et qui ne se trahiront jamais. Père est de plus en plus instable et violent et il m'arrive de fuir la maison régulièrement. Pour m'enivrer moi aussi, pour me perdre dans les bras d'une jolie fille.

Et encore maintenant, à 19 ans, je sers le pendentif que Harry a fait faire avec les bijoux de maman et je me risque à rêver de la vie que j'aurais pu avoir. Harry possède son jumeau, Destiny la bague. Chacun de nous porte un morceau de ce qui a appartenu à cette femme que nous avons mal connu, qui nous a mis au monde et qui a fait tant de mal en disparaissant, tant elle fut aimée.