Jaimie Turner

-Jaimie ? Oh hé Jaimie !

Ma tête apparue soudainement par-dessus la barrière de bois du box d’Eratos, l’un des fleurons de notre écurie. Un peu essoufflé, je me passais une main dans les cheveux avant de m’accouder au montant au box, dardant un regard étrange sur ma sœur, puis mes yeux clairs se baissèrent sur ce qu’elle portait entre ses mains. Un panier. Mince, je suppose que j’avais raté l’heure du déjeuner.

« Pose le par là Grace. »

Finis je par dire en indiquant un coin au hasard, juste pour le plaisir de la voir marcher. J’avais toujours adoré la voir marcher. Son corps se mouvait toujours avec une grâce discrète et je ne pouvais jamais réellement détacher mon regard d’elle. Elle était mon reflet, mon double.

Ma jumelle.

La naissance de jumeaux est rare et bien souvent dangereuse. Pourtant, notre naissance se passa sans heurts, presque facilement, étonnant pour une première grossesse n’est ce pas ? Je suis l’ainé, né cinq minutes avant Grace. Et je crois que jamais parents ne furent plus comblés que les miens. Un hériter et une fille a marier d’un seul coup. N’est ce pas magnifique ? Ma sœur et moi étions des bébés vigoureux pour le peu que j’en sais. Mais a peine nouveaux nés, nous étions sur la même longueur d’onde. Elle pleurait, je pleurais. Elle riait, je riais. Jamais l’un sans l’autre. Notre enfance fut marquée de cette complicité fusionnelle, il était devenu si habituelle ne nous voir ensemble que nous voir l’un sans l’autre était gage d’étrangeté. Enfants du Maréchal Ferrant, j’étais destiné a reprendre le flambeau quand a ma sœur, sans doute imaginerait on un mariage avantageux.

Ma main se resserra sur le manche de ma fourche et même Eratos dut sentir mon énervement car il hennit doucement. Finalement, je sortis du box, le torse couvert de sueur, ma chemise négligemment ouverte avant de me diriger sur le panier et d’en sortir une bouteille de limonade. Je ne pus m’empêcher un sourire narquois a l’adresse de mon ange.

« Limonade ? Dis moi Gracie, tu crois que j’ai encore 5 ans ou quoi ? »

Cinq ans, cela me paraissait lointain. Oui, ce temps me paraissait appartenir a quelqu’un d’autre alors que je m’amusais a grimper aux arbres pour lui cueillir les plus belles cerises du verger. Ce qu’elle n’osait pas faire, je le faisais pour elle. Cela a toujours été. C’est a cette époque que je la surnommais Gracie. Mère n’aimait pas tellement, arguant que Grace était un prénom de dieu qu’il ne pouvait être dénaturé. Je m’en fichais, quand bien même j’évitais toujours de l’appeler comme ça devant notre mère. Avant. Maintenant, je ne prenais plus vraiment de précaution. Dieu était mort de toute manière. J’aime ma sœur. Non pas de cet amour simple et pur qui existe entre un frère et une sœur. Non moi, me suis maudit en l’aimant comme un homme, en la voulant comme un homme. En la regardant comme un homme. Je portais la bouteille a ma bouche, buvant a même le goulot sans me préoccuper de la réaction de ma sœur.

Il n’en fut pas toujours ainsi, c’est vrai. Nous partagions la même chambre, parfois même nos secrets. Avant. Avant que ma mère ne nous sépare lorsqu’elle devint femme. Dieu n’approuverait pas n’est ce pas ? Pourtant, je le vécu mal, très mal. Étrangement, je ne supportais pas d’être séparé de ma sœur, même lorsque mon père m’emmena a la capitale durant un long mois entier pour parfaire mon apprentissage auprès du Maréchal royal. Je m’étais sentis bien trop seul sans elle, amputé même. J’avais 14 ans, presque 15 et c’est là que je compris ce que j’avais tenté d’ignorer. C’est là, dans cette chambre d’auberge que je me suis marqué de l’infamie avec une joie perverse d’ailleurs. Cela semblait si évident. Si simple. Si naturel.

Et je souris en reposant la bouteille. Elle est si pure, si innocente, croyant si fort en ce dieu qui m’a abandonné. Pourtant, il fut un temps où j’étais aussi dévot qu’elle pouvait l’être. Je me souviens de prières dites, psalmodiées main dans la main avec elle, de nos génuflexions, toujours si synchrones. On priait ensemble le soir, agenouillés devant notre lit. Nos parents, sans être riches, étaient assez aisés et nous ne manquions de rien, vraiment. Ma sœur avait toujours des vêtements faits pour elle, moi, tout ce que je désirais ou presque. C’était nous qui offrions notre plus belle bête les nuits de pleines lunes. Nous qui fournissions les Red Ridding en montures puissantes et robustes, qui les soignions, les ferrons, en cela notre famille est respectée, nous de même. Oui, tout serait parfait, si je ne l’aimais pas elle. Si je n’avais pas enfreint les lois divines en rêvant de la faire mienne a jamais. J’étais maudis et je me complaisais dans cette malédiction. Elle ne serait qu’horreur si je le lui disais n’est ce pas ? Et pourtant, le désir de le faire se fait de plus en plus pressent. Le désir d’elle m’étreint chaque jour un peu plus. Dieu ne pourra pas la sauver de moi, car il n’est plus depuis longtemps. Au début, j’ai voulu m’illusionner, flirtant sans honte, séduisant sans complexe sans jamais m’offrir a qui que ce soit. Aujourd’hui, les filles me regardent avec envie, espérant que une demande de fiançailles qui n’arrivera jamais, après tout, je fais partit d’une famille de notables n’est ce pas ? Mais elles ne sont qu’amusement. Je ne veux qu’elle et je n’hésiterais pas a piétiner ses propres croyances pour cela. Egoïste ? Oui, sans doute, mais il faudra bien qu’elle comprenne que je suis a jamais a elle, comme elle est a moi. Quitte a détruire sa propre innocence et a lui couper les ailes.

-Tu a manqué la messe ce matin, Jaimie. Mère est un peu déçue.

Je glissais un regard en coin a ma sœur, plissant les lèvres en un rictus narquois, amusé. Je me fichais de la messe. Depuis trois ans, je n’y allais que pour elle. Et encore. Je me fichais de la messe, je me fichais de la bible. Je me fichais de dieu. Je ne regardais qu’elle, la nuit souvent, me glissant dans sa chambre juste pour la regarder dormir.

« Elle s’en remettra. Ce n’est pas un dimanche de loupé qui va m’envoyer au purgatoire. »

J’imaginais déjà le visage choqué de ma sœur. Elle devait se dire que j’avais changé et elle n’aurait pas tord. Avant, je ne lui aurais pas jeté mon manque de foi au visage, je n’aurais pas haussé les épaules en me contrefouttant de Dieu. Avant, je n’aurais pas loupé un dimanche et ensuite, on aurait été jouer a la lisière des bois. Aujourd‘hui, je glissais mes doigts sous les jupes des filles, roulait parfois avec elles dans les foins, retenant son prénom a elle a la lisière de mes lèvres, mais je n’en pouvais plus. Plus de la regarder en silence. Plus de me taire. Je l’entrainerais avec moi, tant pis pour les conséquences. Je suis bien pire qu’un Loup en vérité. Pire qu'un Loup maudit de Dieu, je suis un homme maudit de dieu.